La moralisation de l'histoire

Philosophie d'écriture 







la moralisation de l`histoire

 
Le Corbeau et le Renard ( Jean de La Fontaine)
La morale des fables : le message de l'auteur est clair.




 

La lecture est l'un des rares exercices intellectuels où le fait de prendre le temps de lire  permet au lecteur d'arrêter le cours de sa pensée quotidienne pour réfléchir (et donc constitue une opportunité pour l'auteur), se poser des problématiques et des questions d'ordre plus ou moins philosophiques et morales. L'auteur peut ainsi, via son texte, proposer une autre compréhension du monde, la sienne propre ou sur un cas précis ou bien encore explorer tous les possibles, toutes les réflexions générées par les situations de ses personnages grâce à sa finesse d'écriture, sa capacité d'analyse, etc.

En tant qu'auteure, j'ai choisi depuis longtemps les récits ouverts, c'est-à-dire des récits qui laissent intacte la capacité d'évolution des personnages alors que l'on a clos son récit, comme dans la "vraie vie" en quelque sorte. Nécessairement, ce genre de personnages amène une confrontation à des situations imposées par l'histoire, situations qui appellent un jugement, une morale ou, mieux encore, la remise en question de nos préjugés, de la norme imposée par notre société toujours plus polissée par le politiquement et le moralement corrects.

Cette dernière figure est de loin la plus intéressante : comment résister à l'envie de donner un grand coup de pied à la fourmilière, d'asticoter le lecteur pour mieux l'inviter au débat intérieur, lui apporter des éléments, des raisonnements contradictoires via nos personnages et espérer ainsi contribuer à la construction de sa propre vision des choses ? Ecrire pour divertir est une noble quête, écrire et impacter le lecteur en lui proposant matière sur laquelle il pourra statuer sa réfléxion est, sans doute, un lien privilégié dans ce binôme si particulier que constitue l'auteur et son lecteur.  


  Comment l'auteur peut-il s'y prendre et rendre perceptible les différents éléments constitutifs de sa moralisation de l'histoire ?

La fable propose une solution simple : la description de la situation en mettant en scène les protagonistes (le corbeau et le renard) , un récit complet qui se termine sur la conséquence finale (le corbeau perd son fromage)  et la morale que l'on doit en tirer ("Tout flatteur...")

La logique pour l'auteur d'un roman ou d'une nouvelle est d'imposer sa propre vision des choses via ce que pensent et disent les personnages. Ce procédé peut marcher par exemple, lors d'un dialogue entre deux individus qui confrontent leurs arguments, l'un tentant de convaincre l'autre, un des personnages devenant le masque de l'auteur qui s'exprime alors au travers sa création. De fait, ce procédé est à utiliser avec parcimonie car il s'avère rapidement sans finesse. La tentation est grande d'instituer un personnage "professeur" qui inculque ses préceptes (et par conséquent ceux de l'auteur) à un personnage "élève". Un roman émaillé de tels dialogues devient "lourd", surtout si l'on écrit un roman où l'action est le moteur principal. Ces espèces de plateformes répétées de duels verbaux via dialogues et personnages opposés, ralentissent ou coupent le flux de l'action qui elle, devrait donner en revanche l'impression de "couler" de A (début du roman) vers B (fin du roman) avec fluidité. 

Dites-vous bien que, dans un roman, le dialogue doit servir avant tout à faire avancer l'action, il ne constitue pas une occasion systématique pour les donneurs de leçons.

De plus, cette façon de procéder est un piège pour vos personnages eux-mêmes : n'oublions pas qu'ils mènent leur vie dans le cadre de l'histoire où ils évoluent. Ces personnages ont leurs convictions, vous les avez travaillés pour qu'ils soient vraissemblables psychologiquement, socialement et il ne faut pas les forcer à agir soudain "contre leur gré" (voui voui, je sais, cela peut paraître bizarre ce que je vous dis là, mais faites-moi confiance vous me remercierez plus tard !) pour les contraindre à servir vos convictions d'auteur. Même si au final, un de vos personnages peut être votre porte-parole, il faut qu'il le fasse avec son style, ses mots, son expérience (l'expérience que vous lui avez fabriquée comme héritage...) 



 
Garfield moralisateur

Garfield moralise aussi ses histoires même
si le plus important reste toujours ... ses lasagnes... 


 



L'autre piège est de tomber dans la lourdeur d'un style trop moraliste. Il s'agit plutôt de poser les problèmes et de faire réagir les personnages tout en laissant une possibilité d'interprétation au lecteur. C'est au lecteur de tirer les conclusions de l'histoire. En tant qu'auteur, nous ne pouvons que lui suggérer, baliser son raisonnement en espérant qu'il aboutisse aux mêmes réflexions que vous et qu'il partage au final notre message. Cependant le plus important n'est pas d'obtenir l'entière adhésion du lecteur, l'important c'est bien de provoquer son questionnement, de susciter son intérêt. Il ne doit pas rester indifférent ou rester au stade d'une réflexion superficielle ne dépassant pas l'idée reçue ou au mieux, les lieux communs. 

Cette démarche implique que l'auteur maîtrise parfaitement les différents sujets abordés dans l'histoire et qu'il ait lui aussi entamé une réflexion pour donner à lire et à réfléchir au travers ses personnages et sa dramaturgie. C'est une manière de se pousser à s'enrichir sur un plan personnel. Certains me disent qu'après quelques lignes d'écriture , ils n'ont plus rien à dire. Peut-être qu'en approfondissant le thème choisi par un travail assidu (recherche internet, encyclopédie, bibliothèque, émissions sur le sujet...) ces auteurs angoisseraient moins devant la page blanche. 

Il faut donc faire très attention au choix de sa narration. Ce choix, comme la façon globale de présenter vos récits, n'est jamais gratuit. Ces choix conscients ou inconscients d'ailleurs, témoignent de votre vision du monde, de vos options non seulement esthétiques de l'écrit mais aussi de vos "idéologies". 

Tout dans votre façon d'écrire renvoie à vos questionnements, vos convictions, vos croyances. Ensuite, c'est un difficile équilibrage qui vous attend pour tenter une "objectivité imaginaire" et laisser à vos personnages la capacité à évoluer dans un sens qui n'est pas forcément votre conviction profonde mais qui contribue à ce que vous voulez démontrer si, bien sûr, vous voulez effectivement démontrer quelque chose dans votre texte (ce n'est pas une obligation !)


La Plume d'Ys - Sylvie Parthenay -

Article sous licence Creative Commons by-nc-nd (voir :  "Droit d'utilisation"





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